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⏱ Temps de lecture : 5 minutes

Après 32 jours sans pluie, les averses sont revenues la semaine dernière… mais elles n’auront pas fait long feu. Et je vous le dis d’emblée : même si j’ai toujours aimé le soleil, ça me fait peur. Très peur, même. À en avoir une boule au ventre. Le mois de février 2023 a été le plus sec jamais enregistré en France depuis 1959. Et c’est d’autant plus inquiétant que le manque de précipitations intervient au moment même où les nappes phréatiques sont censées se recharger pour pouvoir passer l’été sereinement.

Mercredi, j’étais justement à une conférence sur l’eau à la Fondation Léa Nature à La Rochelle avec l’hydrologue Emma Haziza et la journaliste Juliette Duquesne. Le sujet : “L’eau : un bien commun à la dérive ?” Pendant deux heures, je n’ai pas cessé de me demander pourquoi je ne m’étais pas intéressée plus tôt à ce sujet vital. Emma Haziza est catégorique : “Il va falloir choisir entre notre confort et le vivant.” Ça pose le décor.

Le problème

💦 La consommation d’eau

Chaque année, il pleut en moyenne 500 milliards de mètres cubes d’eau en France métropolitaine selon les données du ministère de la Transition écologique. C’est l’équivalent de plus de 400 fois le volume du lac d’Annecy ! Ça peut paraître énorme vu comme ça, mais 60% de cette eau s’évaporent. Sur les 400 lacs d’Annecy, il n’en reste donc plus que 160. C’est ce que l’on appelle la « pluie efficace ». Autrement dit, l’eau qui alimente les cours d’eau ou les nappes phréatiques. 

Pour répondre à tous nos besoins, on en prélève une bonne partie avant de la restituer (et dans quel état ?) aux milieux aquatiques. Le problème, c’est qu’on en perd en cours de route. 16% de l’eau prélevée ne retourne pas dans le cycle de l’eau : c’est “l’eau consommée”. Et presque la moitié de cette eau consommée est liée à… (roulements de tambours 🥁) l’agriculture ! On s’en sert notamment pour alimenter le bétail et irriguer les grandes cultures qui nourrissent le bétail.

🚨 Le manque d’eau

Les limites planétaires, ça vous parle ? Ce sont ces limites au-delà desquelles on plonge littéralement dans l’inconnu. Au total, il y a 9 limites planétaires : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, les modifications d’utilisation des sols, les cycles de phosphore et d’azote, l’utilisation de l’eau douce, l’acidification de l’océan, la pollution chimique, les aérosols et les particules fines atmosphériques, ainsi que l’appauvrissement de la couche d’ozone stratosphérique. On en avait déjà dépassé 4 et, en 2022, on en a franchi 2 de plus : la pollution chimique et l’utilisation de l’eau douce.

La réaction d’Emma Haziza sur Twitter ressemblait presque à un appel au secours : “Je ne sais plus comment le dire, le crier parfois puis me taire devant le flot d’actualité continu… mais est-ce que vous avez compris ce que veut dire le manque d’eau ? Plus d’énergie, plus rien à manger, on est plus rien en fait, vous êtes sûrs de vouloir continuer comme ça ?” Ça, c’est dit.

🌵 Les sécheresses

Le manque d’eau participe à la multiplication des épisodes de sécheresse. Il en existe 3 types qui se combinent en ce moment avec une répartition inégale sur le territoire : 

  • La sécheresse météorologique : quand il ne pleut pas
  • La sécheresse hydrologique : quand les cours d’eau se vident et les nappes phréatiques peinent à se recharger 
  • La sécheresse des sols : quand les sols ont un faible taux d’humidité du sol

En cause ? 

  • Les trop nombreux prélèvements effectués depuis des années : oui, on a été un peu trop gourmand·e·s
  • Les conditions météorologiques : l’absence de pluie depuis la fin du mois de janvier est liée à un anticyclone persistant
  • Le changement climatique qui a notamment renforcé l’étendue géographique et l’intensité des anticyclones : la boucle est bouclée !

« Il ne faut pas avoir peur parce qu’on n’a pas le temps et on n’a pas le choix. »

Emma Haziza, hydrologue (entendue sur Blast)

Les solutions

🧻 Stocker ?

Le manque d’eau et les sécheresses à répétition font peser de lourds risques sur le système agricole. Sans eau, il n’y a pas d’agriculture… ni d’aliments dans notre assiette. Face à ce constat, on pourrait avoir tendance à stocker l’eau, comme on a stocké des dizaines de rouleaux de PQ pendant le confinement. C’est un peu l’objectif des projets de méga-bassines qui se multiplient en ce moment, comme dans les Deux-Sèvres, à quelques kilomètres de La Rochelle. 

Si vous n’avez jamais vu à quoi ça ressemble, il s’agit d’immenses réservoirs d’eau capables de stocker jusqu’à 260 piscines olympiques. Sur le papier, ça a l’air bien pratique, mais ça pose problème pour plusieurs raisons : 

  • L’eau stockée n’est pas de l’eau de pluie, mais de l’eau pompée dans le sol en hiver. Ça participe à assécher encore plus les nappes phréatiques, mais aussi à assécher le milieu car, quand il ne pleut pas, l’eau des rivières provient des nappes phréatiques.
  • Les bassines se remplissent et se vident par pompage, avec une consommation importante d’électricité (cc l’empreinte carbone 👋).
  • L’eau est stockée dans des cuves soumises à l’évaporation sous l’action de la chaleur. Vous imaginez ce que ça peut donner l’été ? Pas très efficient comme système ! 
  • Les bassines soutiennent l’irrigation et ne bénéficient qu’à une poignée d’agriculteur·rice·s qui ont des pratiques inadaptées au climat qui change.

💧 Réduire la quantité

Au final, c’est toujours le même refrain. La solution, c’est la so-bri-é-té. Selon Florence Habetz, hydrogéologue, c’est “la seule solution de long terme face aux sécheresses futures”. Si on ne veut pas trop trimer, il faut entamer rapidement une transition vers des pratiques moins gourmandes en eau : 

  • Limiter l’urbanisation qui accélère le cycle de l’eau et le ruissellement et végétaliser les villes pour donner à l’eau la possibilité d’infiltrer de nouveau les sols
  • Repenser l’énergie (déso Janco, mais nucléaire et empreinte eau, ça fait pas bon ménage 🧹)
  • Adapter l’agriculture aux ressources en eau disponibles ou, dit autrement, en finir avec l’agriculture intensive et réduire drastiquement notre consommation de produits d’origine animale

✅ Préserver la qualité

Au-delà de la quantité disponible, il y a un problème de qualité. L’année dernière, une expertise collective menée par l’INRAE et l’Ifremer a montré que l’intégralité du cycle de l’eau était polluée, des eaux de surfaces aux fosses océaniques les plus profondes. Pour éviter d’empirer la situation, c’est à terre qu’il faut agir en limitant notamment l’utilisation d’intrants chimiques.

👨‍🌾 Repenser le modèle agricole

Il y a des dizaines de domaines sur lesquels on peut agir pour préserver l’eau, mais chez Blutopia, on se concentre sur notre assiette… et les pratiques agricoles qui nous permettent de la remplir. Voilà ce à quoi l’on rêve quand on pense à l’agriculture du futur : 

  • Un sol vivant : moins de labour et plus de couvert végétal pour protéger les sols, ce qui permettrait de stocker 5 à 10% d’eau en plus
  • Des fermes en agroécologie et agroforesterie : des cultures sans intrants, un système de récupération de l’eau de pluie en circuit fermé, des actions pour préserver la biodiversité et la qualité des sols comme l’implantation de haies et d’arbres, une mécanisation réduite au strict minimum, des semences paysannes ou encore une juste rémunération des agriculteurs et des agricultrices
  • Une plus grande résilience alimentaire : quand il n’y aura plus d’eau, chaque pays gardera ce qu’il produit pour sa population et on pourra dire bye bye à la moitié des fruits et légumes que l’on consomme et qui sont aujourd’hui importés

Au fait, vous n’avez rien prévu le samedi 25 mars ? Ça tombe bien. Vous pouvez aller manifester contre les projets de méga-bassines dans les Deux-Sèvres avec le Collectif Bassines, non merci !

Pour aller plus loin

📹 Vidéo : “Manque d’eau : comment éviter la catastrophe ?” avec Emma Haziza sur Blast

Paloma Moritz, journaliste pour le média indépendant Blast, interroge la fameuse Emma Haziza. En 50 minutes, elle détaille les enjeux liés au manque d’eau et les solutions à mettre en œuvre de toute urgence pour éviter la catastrophe. 

🗞️ Article : “Les méga-bassines sont-elles des solutions viables face aux sécheresses ?” sur Bon Pote

Dans cet article pour Bon Pote, Florence Habetz, hydrogéologue et directrice de recherche au CNRS et Magali Reghezza, géographe et membre du Haut conseil pour le climat, reviennent sur les stratégies d’adaptation face aux sécheresses et pèsent les pour et les contre des méga-bassines.

Bon dimanche à choisir si vous préférez voir le verre à moitié vide ou à moitié plein.

Co-fondatrice & Chargée de campagnes de Blutopia