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⏱ Temps de lecture : 5 minutes

Quand il s’agit de préservation de l’océan, c’est à terre que (presque) tout se joue. C’est tellement contre-intuitif qu’on le répète encore et encore. Et pour mieux saisir les enjeux, il y a un concept clé à connaître : l’acidification de l’océan. On vous explique.

Le problème

🍋 Le constat : l’acidification de l’océan

Vous vous souvenez de vos cours de physique-chimie du collège ? Pour moi, c’est déjà loin, alors je me suis dit qu’un petit rappel ne ferait pas de mal ! Toutes les solutions aqueuses ont un pH ou potentiel hydrogène. Celui-ci sert à mesurer l’acidité ou la basicité d’une solution. Le pH peut aller de 0 à 14. À 7, le pH est neutre. Ce qui est au-dessus de 7 est basique et ce qui est en dessous de 7 est acide.

Maintenant qu’on a mis les choses à plat, place au constat sur le pH de l’océan. Entre 1850 et 2015, le pH moyen en surface est passé de 8,2 à 8,1. -0,1. L’évolution peut paraître insignifiante, mais les apparences sont trompeuses ! En fait, l’échelle du pH est logarithmique. En clair, ça signifie qu’en moins de 200 ans, on a une hausse de 30% de l’acidité de l’océan. C’est énorme !

🕵️‍♀️ Les causes

Les émissions de gaz à effet de serre

On l’oublie souvent, mais comme les forêts, l’océan absorbe une partie des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. En se dissolvant dans l’eau, le dioxyde de carbone ou CO2 forme de l’acide carbonique, ce qui change la composition chimique de l’eau et augmente son acidité. Depuis les années 1980, l’océan a capté 30% des émissions de gaz à effet de serre. La vitesse d’absorption est 100 fois plus rapide au regard des 300 derniers millions d’années. Quand on sait ça, on comprend mieux pourquoi l’océan s’acidifie si vite !

La perturbation du cycle de l’azote

Même si elles en sont les principales responsables, les émissions de gaz à effet de serre n’agissent pas seules sur l’acidification de l’océan. Les activités agricoles ont aussi leur part de responsabilité. L’épandage de déjections d’élevage et l’utilisation d’engrais azotés émettent des composés azotés, principalement sous la forme de protoxyde d’azote ou N2O, qui perturbent le cycle de l’azote naturel. Lorsque des composés azotés se dissolvent dans l’océan, ils ont eux aussi des propriétés acidifiantes et contribuent à l’acidification de l’océan.

L’eutrophisation

Il y a un dernier phénomène qui participe à l’acidification : l’eutrophisation. Celle-ci joue un rôle moindre, mais on ne peut pas la laisser de côté pour autant. L’apport excessif d’éléments nutritifs dans les eaux entraîne une prolifération végétale, un appauvrissement en oxygène et un déséquilibre de l’écosystème. C’est ce qu’il se passe en Bretagne avec les algues vertes. Généralement, il s’agit d’un phénomène assez localisé, mais si on ne change pas de modèle agricole au plus vite, il pourrait bien se généraliser. D’ailleurs, certaines plages sur l’île de Ré commencent à sentir l’œuf pourri. Il s’agit d’un indicateur de décompensation des algues. Et bonnes vacances !

😰 Les conséquences

1️⃣ Perte de biodiversité marine

Les changements de pH n’ont rien de bon pour la faune et la flore marine. L’acidification de l’océan force les organismes marins à dépenser plus d’énergie pour réguler la composition chimique à l’intérieur de leurs cellules. Les conséquences varient en fonction des espèces : stress, troubles de la croissance et de la reproduction, perturbations de l’odorat et du comportement… La liste est longue !

Les organismes les plus touchés par l’acidification de l’océan sont les organismes calcifiants. Autrement dit, ceux qui forment une coquille ou un squelette calcaire comme le phytoplancton, les mollusques ou les coraux. La baisse du pH les empêche de synthétiser leur squelette, ce qui les rend plus fragiles. Aujourd’hui, le changement de pH est tellement rapide que les coraux pourraient se dissoudre avant même d’avoir pu s’adapter. Vous avez l’âme d’un·e scientifique ? Essayez de mettre une coquille d’huître dans du vinaigre blanc, et vous verrez les effets accélérés de l’acidification de l’océan.

Si ça nous préoccupe autant, c’est parce que les espèces les plus touchées sont garantes de la biodiversité marine. Le phytoplancton est à la base de la chaîne alimentaire, et les récifs coralliens, eux, abritent 25% des espèces marines. Par le passé, la perte d’oxygène couplée à un dérèglement climatique et une acidification de l’océan a systématiquement mené à une extinction de masse. Il y en a déjà eu 5. Ce serait bien qu’on évite la 6e, non ?

2️⃣ Saturation

Plus on augmente les émissions de gaz à effet de serre, plus les puits de carbone, comme l’océan, sont saturés. Autrement dit, l’océan est de moins en moins efficace pour ralentir l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère. Il est en train de s’asphyxier.

En moins de 200 ans, on a une hausse de 30% de l’acidité de l’océan.

Source : GIEC

Les solutions

🌡️ Agir à la source : limiter les émissions de gaz à effet de serre

Le GIEC est sans appel : l’acidification de l’océan est irréversible à l’échelle du centenaire, voire du millénaire. Et puisqu’une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, l’acidification de l’océan continuera d’augmenter au cours du 21e siècle.

Mais ça ne veut pas dire qu’il faut baisser les bras et crier haut et fort que tout est foutu. Au contraire ! La vitesse de l’acidification de l’océan dépend en grande partie des émissions de gaz à effet de serre futures. En clair, si on ne veut pas descendre à 8, 7,9 ou 7,8 de pH, il faut absolument réduire les émissions. A l’échelle individuelle, il y a plein de solutions à notre portée : se déplacer avec des mobilités douces, arrêter les voyages à l’autre bout du monde en avion, végétaliser notre alimentation, isoler nos logements, choisir une banque qui finance la transition. Pour savoir ce qui aura le plus d’impact, vous pouvez commencer par calculer votre empreinte carbone.

La bonne nouvelle (oui, on en a aussi !), c’est que réduire votre empreinte carbone permettra au passage de limiter le réchauffement des eaux de surface, les pertes d’oxygène en profondeur, les créations de zones mortes… et toutes ces évolutions qu’on préfèrerait ne pas avoir à nommer.

🪸 Faire face à l’urgence : protéger et restaurer les coraux

Les coraux sont confrontés à l’acidification de l’océan, mais aussi aux vagues de chaleur de plus en plus intenses et fréquentes, aux pollutions, à la surpêche, aux méthodes de pêche destructrices pour les fonds marins, aux espèces invasives… Bref, leur vie n’est plus un long fleuve tranquille. C’est justement pour protéger et restaurer les écosystèmes coralliens qu’est née Coral Guardian. L’association agit à la fois à l’autre bout du monde, et à côté de chez nous : depuis 2012 en mer de Florès, en Indonésie, et depuis 2020 en mer Méditerranée, en Espagne.

Dans la zone spéciale de conservation de Punta de la Mona, sur les côtes de la province de Grenade, on retrouve une population remarquable du corail chandelier à partir de 30 mètres de profondeur. Pour protéger cette espèce considérée comme menacée d’extinction, Coral Guardian travaille main dans la main avec l’association espagnole Coral Soul sur le projet Deep CORE.

Concrètement, voici comment se passe le processus de restauration des coraux :

  • Etape n°1 : nettoyage des fonds marins, pollués par du matériel de pêche échoué, ainsi que les déchets dérivés du tourisme et développement côtier
  • Etape n°2 : récolte de fragments de coraux endommagés
  • Etape n°3 : transfert des fragments de coraux sur des structures métalliques sous l’eau pour leur permettre de retrouver des conditions optimales de récupération
  • Etape n°4 : transplantation des coraux en bonne santé sur les fonds marins pour leur donner une nouvelle vie

Pour aller plus loin

🎙️ Podcast : “Des océans sous acide” sur Six Pieds sur Terre

Dans ce podcast signé Courrier International et AFD, le biologiste et co-auteur des rapports du GIEC Sam Dupont décrypte le phénomène d’acidification de l’océan. Il rappelle qu’il n’est pas trop tard, mais qu’il est important d’agir le plus vite possible.

🗞️ Article : “Acidification des océans et changement climatique” par Bon Pote 

Vous aimez la rigueur scientifique ? Vous voulez creuser le sujet et comprendre les réactions chimiques qui ont lieu dans l’océan ? Cet article de Bon Pote devrait vous plaire. Il a été écrit grâce à l’aide de Jean-Pierre Gattuso, chercheur CNRS au Laboratoire d’Océanographie de Villefranche-sur-Mer.

Bon dimanche à vous presser le citron pour l’océan.

Co-fondatrice & Chargée de campagnes de Blutopia