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La neutralité carbone… J’ai comme l’impression que c’est devenu le Saint-Graal à atteindre à tout prix pour nous sauver du dérèglement climatique. La France a annoncé sa volonté d’y parvenir à l’horizon 2050. La communauté d’agglomération de La Rochelle, où je vis, s’est même engagée à devenir le premier territoire français zéro carbone d’ici 2040. L’ambition est de ne plus émettre davantage que ce que l’on peut absorber. Un des moyens pour respecter ces promesses serait la compensation carbone. Ça paraît un peu simple quand même, non ?

Le concept : la compensation carbone

Avant de tirer des conclusions trop rapidement, reprenons les bases. La compensation carbone consiste à contrebalancer ses propres émissions de CO2 par le financement de projets de réduction d’autres émissions ou de séquestration de carbone. Le principe s’appuie sur le fait que les gaz à effet de serre ont des effets globaux sur le réchauffement planétaire, et non pas locaux. Une tonne de CO2 émise à un endroit pourrait être annulée par la soustraction d’une tonne de CO2 à un autre endroit.

Aujourd’hui, il existe 2 systèmes de compensation carbone distincts : 

  • Le marché réglementé. Il est lié au protocole de Kyoto et permet aux Etats signataires et à leurs entreprises de financer des projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre en échange de crédits carbone. En clair, il fournit des droits à polluer garantis par l’ONU.
  • Le marché volontaire. Tous les acteurs qui veulent compenser sans y être contraints peuvent y prendre part : individus, collectivités locales, petites et moyennes entreprises, mais le marché n’est régulé par aucune une autorité centrale et les niveaux de garantie sont donc variables.

La compensation carbone peut prendre plein de formes différentes : plantation d’arbres, protection de forêts existantes, investissement dans les énergies renouvelables ou la gestion des déchets… La liste est longue, mais il y a un grand oublié : l’océan. Pourtant, c’est un puits de carbone essentiel à l’équilibre climatique puisqu’il absorbe 30% de nos émissions de gaz à effet de serre !

En tout cas, pour qu’il soit efficace, un projet de compensation carbone doit remplir 4 conditions :

  • Être additionnel : il n’aurait pas pu voir le jour sans ce financement.
  • Être capable de mesurer la quantité d’émissions de CO2 évitées ou capturées.
  • Réaliser la vérification de ces émissions.
  • Garantir l’unicité des crédits carbones qu’il délivre : un crédit correspond à 1 tonne d’émissions évitées ou capturées.

Ce qu’on en pense : une distraction dangereuse

Il est presque impossible de prouver qu’un projet a vraiment permis de générer des réductions d’émissions supplémentaires ou que la pollution n’a pas été déplacée ailleurs. Si les émissions sont un acte certain, tenter de les absorber ailleurs est soumis à tant d’incertitudes que rien ne garantit leur compensation.

Prenons le cas d’un crédit carbone issu d’un projet forestier. Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes de l’association Canopée qui lutte pour mieux protéger les forêts, dénonce les travers de la compensation carbone. « Planter des arbres pour capter le CO2, ce n’est pas basé sur la science. Cela ne fonctionne pas comme ça. » La séquestration du CO2 se déroule pendant des décennies, tout au long de la croissance d’un arbre. Elle n’est pas effective à la date d’achat d’un crédit. En plus de ça, il n’est jamais garanti que le carbone stocké restera dans l’arbre suffisamment longtemps pour que le crédit carbone acquis soit réellement efficace. Les forêts ne sont jamais à l’abri des aléas climatiques, de maladies ou de la déforestation. Les arbres peuvent même devenir émetteurs de CO2 avec le stress hydrique. Sans compter que de nombreux projets forestiers plantent des arbres en monoculture, sans prendre en compte les caractéristiques climatiques locales, et détruisent par là-même la biodiversité.

Mais ce n’est pas tout. Le principal problème de la compensation carbone, c’est qu’elle est tellement peu chère que l’on risque d’y passer directement sans avoir d’abord réduit ses émissions. Aujourd’hui, compenser une tonne de carbone ne coûte que 3 dollars en moyenne à l’international. C’est quand même plus simple que de changer de comportement, non ? Surtout quand on est à la tête d’une entreprise dont le modèle repose sur des activités qui dérèglent le climat… et que l’on peut se prétendre neutre en carbone en achetant plus de crédits tout en ayant accru ses émissions. Le soucis, c’est qu’on ne peut pas compenser à l’infini sur une planète aux ressources finies. 

Pour l’association All4trees et le cabinet de conseil Carbone 4, il vaudrait mieux parler de « contribution » que de « compensation » parce que l’on paye pour protéger le climat, sans pour autant annuler les effets de nos propres émissions. Les contributions d’une entreprise à l’objectif de neutralité carbone devraient même être calculées et valorisées de manière séparée de sa propre empreinte carbone.

En bref, la compensation carbone n’est qu’une solution temporaire, un outil pour accélérer l’action climatique, qui ne doit être utilisé que pour les émissions incompressibles. Pour freiner le dérèglement climatique, il faut avant tout réduire. Et lorsque que ce n’est vraiment pas possible, vous pouvez toujours regarder les labels comme le Voluntary Gold Standard, créé par l’ONG WWF en 2006, et le Verified Carbon Standard, créé par Verra, une organisation à but non lucratif.

Pour aller plus loin : vers un futur souhaitable pour 2040

🎙 Podcast : « Des arbres pour lutter contre l’empreinte carbone » sur Y’a le feu au lac

En 20 minutes, Lucas Scaltritti tente de répondre à une question : peut-on compenser son empreinte carbone en plantant des arbres ? avec Jonathan Guyot, co-fondateur et président de l’association All4trees et Luc Bachelet, consultant dans le cabinet de conseil Carbone 4.

💡 Projet : Mossy Earth

C’est Delphine, une lectrice de la newsletter, qui m’a partagée l’information la semaine dernière (et m’a d’ailleurs inspirée pour le sujet d’aujourd’hui). Mossy Earth propose un abonnement mensuel à 12€ qui permet de planter des arbres natifs, mais aussi de participer à des projets de réintroduction et de restauration des habitats d’espèces locales en voie de disparition. Un projet de reforestation sous-marine est même en cours au large des côtes du Portugal. Une belle alternative à la plantation d’arbres en monoculture !

📽 Documentaire : « 2040 » réalisé par Damon Gameau

À quoi pourrait ressembler le monde en 2040 si nous adoptions simplement des solutions déjà disponibles pour le traitement de la nourriture, de l’énergie et de l’éducation ? C’est ce qu’a imaginé Damon Gameau dans 2040. Parmi ces solutions, il y a la permaculture marine qui vise à planter des algues sous l’eau. Des scientifiques estiment que si 9% de la surface océanique étaient utilisés pour mettre en place la permaculture marine, ça permettrait d’absorber 53 milliards de tonnes de CO2 par an de l’atmosphère !

Vous avez une question ou une suggestion ? J’adore vous lire, alors n’hésitez pas à m’écrire en commentaire.

Co-fondatrice & Chargée de campagnes de Blutopia

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